Malédiction de l'Amérique noire !
Black Boy, de Richard Wright
En lisant ce livre en janvier dernier, je me suis dis que c'était malheureux de toujours vivre dans un monde où l'Amérique est encore en proie avec ce fléau qu'est le racisme. Black Boy est un roman autobiographique, qui raconte l'enfance de l'auteur dan le sud ségrégué des Etats-Unis durant l'entre deux guerre. La puissance d'évocation de ce roman éruptif est sans nul autre pareil. Le lecteur est transporté dans une Amérique cruelle, violente, où règne la terreur, et l'injustice raciale. L'auteur nous permet une intrusion dans le quotidien des noirs du sud, entre famine, pauvreté extrême, violences interraciales, et la dislocation des familles noirs, avec des pères toujours absents. Le narrateur, qui est donc l'auteur, ne prend pas de gants, et il plonge dans le vif du sujet dès les premières phrases. C'est par ailleurs l'un des incipits les plus glaçant que j'ai lu de toute ma vie. Le livre s'ouvre en effet sur un incendie, puissante métaphore d'une société au bord de l'implosion 60 ans à peine après la guerre de sécession. Il est facile pour le lecteur de saisir la différence fondamentale entre le nord du pays et le sud, et pourquoi la simple évocation du nord est source d'espoir pour le narrateur, et en général pour les noirs du sud. Ce livre est vraiment majeur, d'une part par sa radicalité, l'auteur ne se dissimule pas, il raconte ses expériences de manière viscérale et ne s'épargne à aucun moment. Je n'ai pu m'empêcher d'être en empathie avec l'auteur, sans avoir traversé ce qu'il a traversé, je me suis reconnu dans les difficultés qu'il a avec sa famille, mais aussi dans sa curiosité pour le monde, et les livres. Une curiosité pour les livres qui va agir comme un vecteur d'émancipation, et tout du long on va se demander si le narrateur va réussir à quitter le sud pour aller vivre son rêve, et devenir écrivain, dans le nord. Je t'encourage à lire ce livre camarade, il est vraiment saisissant.


La morte est froide !
Celle qui n'était plus, de Pierre Boileau et Thomas Narcejac
Ce roman policier, qui joue parfaitement avec les codes du genre, fait pourtant preuve d'invention, et réinvente le suspense. Dans une atmosphère très hitchcockiene, on est propulsé au milieu d'une machination diabolique, un assasinat minutieusement préparé. Le roman commence dans une ambiance froide et l'on est tout de suite saisi par l'inquiétude du personnage, mais aussi par son empressement. On ne va pas lâcher le narrateur pendant les trois quarts du livre. On est dans sa tête, on voit ce qu'il voit, touche ce qu'il touche et sens ce qu'il sent. L'intrigue, pourtant simple, va pourtant créer un trouble immense, chez le lecteur. Il s'agit d'un couple d'amants, qui pour toucher le million de l'assurance vie de la femme du narrateur, va planifier son assasinat, et le faire passer pour un suicide. Mais ce que le lecteur ne réalise pas, c'est que sous ses yeux, se déroule une double machination. Ce Roman est court et très efficace, quand on le commence, on ne peut plus le lâcher. On est constamment au bord du précipice, et la folie rode. J'ai rarement vu une telle maîtrise du phénomène de paranoïa. Je te le recommande donc vivement camarade.


C'est dur de donner !
Confessions d'une radine, de Catherine Cusset
Alors ce n'est clairement pas le livre du siècle, mais j'ai beaucoup apprécié le ton du récit. La narratrice, s'engage dans un dialogue avec le lecteur. Dans chacune de ses confessions, sur sa difficulté à ne pas compter quand elle doit offrir des cadeaux, ou encore sur son besoin permanent de réaliser des économies, elle tend en fait un miroir au lecteur. Ce dernier doit ainsi se poser la question de son rapport à l'argent, ou même aux possessions matérielles. Je n'ai pu m'empêcher de me demander tout du long si j'étais de nature généreuse, ou si comme la narratrice, j'étais un gros rat. Je ne vais pas répondre à cette question ici, mais ce que je peux faire cependant, c'est t'encourager à lire ce tout petit livre assez divertissant. L'autrice n'y va pas par quatre chemin, elle sait qu'elle est radine, et elle l'assume, sans pourtant le revendiquer. C'est bien écrit, incisif et drôle alors fonce camarade. J'ai lu ce petit bouquin il y a quelques mois, et franchement ça m'a donné envie de découvrir davantage le travail de Catherine Cusset, je te tiendrai informé de mes prochaines lectures d'elle.


Et dieu créa les mères !
Le livre de ma mère, de Albert Cohen
la renommée de ce livre le précède tellement que je ne sais presque pas ce que je pourrais dire de plus pour te donner envie de le lire. Très souvent, les gens parle de ce livre sans même l'avoir lu, un peu comme la Recherche, ce qui est le signe qu'un livre est entré dans le patrimoine culturel d'un pays. Alors sans en dire trop, pour ceux qui ne l'ont pas encore lu, je dirais simplement qu'il s'agit de la plus belle déclaration d'amour qu'un enfant ait jamais fait à sa mère défunte. Dans ce tout petit ouvrage, Albert Cohen, revient sur la vie de sa mère, et sur la relation fusionnel qu'il entretenait avec elle. Il se met à nu, et dit tous ses regrets concernant ce qu'il aurait aimé mieux faire, ou mieux dire, du vivant de sa mère. On ne peut ignorer la relation qu'on entretien avec sa propre mère en lisant ce livre. Il arrache les larmes aux plus sensible d'entre nous, et opère comme un révélateur. Car oui il est vrai que malgré l'amour sans borne que l'on porte en soi pour notre mère, la vie est telle que l'on finit toujours par être plus ou moins ingrat. Albert Cohen ne se prive d'ailleurs pas d'interpeller directement le lecteur, et de l'enjoindre à témoigner à sa mère amour et dévotion, quand elle est encore vivante. Le style de l'auteur est bien sûr ici percutant, et solennel, ce qui rend le propos du récit encore plus profond. J'ai lu ce livre alors que j'avais déjà rompu les liens avec ma mère, et je ne pourrais même pas mettre en mots ce que j'ai éprouvé pendant et après la lecture. Je te le recommande vivement camarade.


Fresque italienne !
Veiller sur elle, de Jean-Baptiste Andrea
Oui ! Oui ! Oui ! Il s'agit bien du Goncourt 2023. Je me suis fixé pour règle de lire tous les Gongourt, depuis cinq ans, alors tous les ans, je m'exécute. Parfois c'est de la merde, comme le cru 2022, il arrive aussi que ce soit excellent comme le cru 2020, mais parfois c'est juste vraiment bien comme celui-ci. C'est l'histoire de Mimo, un sculpteur nain d'origine italienne, qui est séparé de sa mère alors qu'il est encore jeune, et doit retrouver en Italie, tandis que sa mère reste en France travailler. Une histoire d'immigration comme il en existe plein. Cependant, la particularité de Mimo, c'est qu'il est doté d'un talent rare. Il comprend la pierre, et sait comment dompter. A son retour en Italie, il est le petit apprenti d'un oncle tailleur de pierre aigri et jaloux de son talent, dans le petit village de Pietra d'Alba. C'est dans ce village, qu'il rencontre la singulière Viola Orsini, jeune héritière d'un nom et d'un patrimoine illustre. Viola est intelligente, ambitieuse et déterminée, tandis que Mimo est perdu, désinvolte, ignorant de son propre talent. Commence alors une histoire d'amour véritable, d'amitié. On suit les deux destins, qui se développent un peu dans des directions opposées, Viola va vite devoir renoncer à ses ambitions, tandis que Mimo va connaître une ascension fulgurante sous Mussolini. Le livre nous fait traverser la belle Italie, ses années sombres de la période fasciste, et nous fait redécouvrir ses grands maître de la renaissance. C'est un bouquin qui n'est pas court, mais qui se lit très facilement. C'est très clairement un page turner. Je l'ai lu en septembre dernier, et Il m'a replongé dans la lecture, à un moment de ma vie où je ne parvenais plus à lire. Le style n'est pas le plus recherché du monde, mais en même temps ce n'est pas l'objectif de l'auteur. Je pense qu'il avait envie de nous plonger dans une belle et tragique histoire, d'amour, d'amitié, de famille, de pouvoir, d'argent. Et c'est réussi. Alors je te le recommande camarade. C'est un bon roman estival donc tu peux même l'emporter avec toi cet été.


Conversation entre les sexes !
L'île les Gauchers, de Alexandre Jardin
J'ai toujours aimé les titres absurdes, ou les noms un peu loufoques. Alors lorsque je tombe sur ce roman dans un kiosque à livres, l'excitation st trop grande, c'était juste trop tentant. Tout de suite j'avais plein de questions. Mais de quoi pouvait bien parler un roman avec un tel titre ? Et puis, est ce qu'il s'agissait d'aventure, un peu à la Robinson Crusoé ? En découvrant qu'il s'agissait en fait d'une sorte de traité romanesque sur les relations hétérosexuelles, j'ai définitivement été conquis. En effet, dans ce court roman, on suit les péripéties d'un aristocrate un peu farfelu, qui voyant son mariage perdre le feu des premiers mois, décide de faire déménager toute sa famille, butler compris, sur une mystérieuse île du pacifique. La fameuse île des Gauchers. Tout ce que sait le vicomte avant le départ, c'est que c'est un pays inventé et pensé pour les Gauchers. Là-bas, toute la société est régie par un seul principe fondateur, bien aimer sa femme. Ainsi l'amour est ritualisé et sacralisé, faire la court est un évènement majeur qui mérite d'un jour férié, et même l'adultère vu comme un rite de passage obligatoire dans le couple, est institutionnalisé. Ce livre est vraiment l'occasion de repenser les codes de la séduction en général, et plus spécifiquement dans les couples hétérosexuels. Il déconstruit l'idée même du mariage tout en la réhabilitant, ce qui est une opération paradoxale, qui ne manque pas de charme. Il remet en question les préjugés que les hommes ont des femmes, et vice-versa, sans pourtant aller jusqu'au bout, vers la formulation d'une pensée politique. Le ton est impertinent, et la réflexion amorcée est vraiment vaut le détour. Je relèverai particulièrement la seconde moitié du livre, qui se déroule donc sur l'île, et où l'auteur ne se retient plus, et là ça devient vraiment jouissif. Ses descriptions de l'île, des rites étranges de cette population, et la mise à nu de ses personnages. Ça se lit vite, et même si la fin n'était pas tout à fait réussi, je te le recommande vivement camarade.


Sur la route d'une mémoire noire !
La plus secrète mémoire des hommes, de Mohamed Mbougar Sarr
Ce livre est un grand et puissant roman, pour plusieurs raisons. Tout d'abord parce qu'il initie une réflexion sur la littérature, ensuite parce qu'il donne à découvrir la poésie du Sénégal. Le personnage principal, qui est le narrateur, mais aussi un alter-égo de l'auteur, est un jeune écrivain sénégalais à Paris, amoureux fou de littérature et en quête d'émerveillement. Quand il tombe sur un mystérieux manuscrit, Le labyrinthe de l'inhumain, écrit par l'écrivain sénégalais TC Eliman et publié en 1938, le narrateur développe une véritable obsession pour cet ouvrage et son auteur. Il va alors se lancer dans une enquête formidable et originale, sur les traces cet homme dont il se sent symboliquement très proche. Cette enquête prodigieuse nous emmène de l'Afrique, à l'Europe en passant par l'Amérique du Sud, sans jamais que le narrateur ne quitte Paris. Et c'est en partie là que réside le brio de ce texte, dans la jonction entre l'art orale des grands conteurs d'histoire du Sénégal, et l'art de l'écrit occidental. Car nous suivons le narrateur qui s'élance à la rencontre de personnages, qui en même temps qu'ils lui racontent ce qu'ils savent, ils nous le raconte à nous aussi. L'écrit devient le parlé, et le parlé l'écrit, dans un acte de fusion magique. J'avais lu ce roman à sa sortie, avant même qu'il n'obtienne le Goncourt 2021, et depuis lors je crois l'avoir prêté à tous mes oncles. J'aime à penser que c'est un grand roman initiatique, et d'aventure, alors je te conseille ce roman aventuresque camarade.

